lundi 21 juin 2010

Utilisation politique de la fausse conscience ethnique en RDC depuis 1990 par l'élite congolaise "modernisante"

INTRODUCTION

Depuis le début de la démocratisation en 1990 en R.D.C, on assiste à la résurgence de la fausse conscience ethnique. La chasse aux Kasaïens dans la province du Katanga , les affrontements ayant opposé les ressortissants congolais aux Banyarwanda au Kivu, de même que les Lendu au Hema en Ituri dans la Province Oriental. L’apparition du mouvement « politico-religieux » appelé « Bundu dia Congo » au Bas Congo ainsi que celle du « CNPD » au Kivu sont à mettre sur le compte de la prolifération de fausses consciences ethniques.Le développement desdites consciences s’expliquerait notamment par :

1° une stratégie du régime mobutiste. Ladite stratégie a consisté à vouloir faire accréditer l’opinion que les congolais ne seraient pas prêts à adopter le multipartisme d’où la création par le pouvoir de plusieurs foyers de tension dits ethniques. On comprend pourquoi les leaders ethnicistes n’étaient ni politiquement ni judiciairement  inquiétés.

Et comme en Afrique, l’Etat a précédé la nation, contrairement aux pays européens (F. Chatelet et E. kouchner; 1980), la conscience centrifuge y est très développée;

2° L’ethnicité n’est en fait qu’un trait de compétition politique. Cela est d’autant plus plausible que nous sommes dans un système d’économie où le secteur privé est faible. Seul l’Etat, en dehors de multinationales, est le principal investisseur et employeur. Conséquence, tous les africains en général, et congolais en particulier se battent pour occuper un poste politico administratif afin d’en tirer un profit personnel (Lohata, 2002).  Personne dans ces conditions, ne veut entrer ou rester dans l’opposition même battue en bonne et due forme ; car contrôler l’Etat équivaudrait à contrôler des richesses : l’expression de politique de vendre (J.F. Bayart, 1989) est ici appropriée.

Ce qui est propre, aux Etats en cours de construction comme la R.D.C, c’est le fait que les règles de compétition politiques ne sont pas définies rationnellement, encore moins consensuellement. L’ethnicité apparente n’est qu’en réalité, un moyen stratégiquement détourné pour accéder au pouvoir. Les luttes dites ethniques sont en réalité des luttes politiques, des compétitions sociales pour accéder aux avantages socio-économiques, symboliques et aux positions dominantes.

3° L’ethnicité est une « fausse conscience », elle porte rarement sur des traits culturels au sens anthropologique. Elle est l’œuvre de la classe dominante, porteuse de la culture occidentale, que C. Coulon qualifie de l’Elite modernisante. On croit que l’on est dans les revendications ethniques, alors qu’en réalité on est ailleurs. Il s’agit d’une fausse conscience, artificiellement et stratégiquement construite.




I. Relance de la fausse conscience ethnique et la compétition politique en RDC : de 1990   à ce jour.

Au moment où se déclenche la lutte de « libération », en octobre 1996, il  n’existait plus au Zaïre un centre politique unique, en raison notamment de l’existence sur un même territoire de la pluralité des pouvoirs gestionnaires de la violence et des zones monétaires.

A partir de 1993, le Nord-Kivu échappe au contrôle des autorités centrales et déconcentrées. Les maïmaï, les Kitutu et les Ngilima exercent leur autorité respectivement sur Masisi, Walikale et Butembo. L’Etat ou mieux le centre politique de Kinshasa et ses pouvoirs extérieurs y sont ignorés. On peut en citer l’exemple d’un paysan de Masisi qui était accusé, au mois de novembre 1996, d’avoir échangé son arme contre la vache, avec un munyarwarnda. Il fut emmené auprès du chef des maïmaï qui lui infligera une sanction de plusieurs coups de fouets et on lui arrachera la bête, pour l’offrir aux maïmaï et habitants d’un des quartiers de Masisi qui l’égorgeront et se la répartiront. Le représentant de l’Etat, le Commissaire de zone présent n’avait rien à dire ; au contraire pour légitimer son pouvoir, il a dû composer avec eux, au détriment de la police et de l’armée officielles[1].

Ces groupes (Maïmaï, Ngilima et Kituku) sont nés contre la présence étrangère, Banyarwanda sur leur sol ; ils se réclamaient tous de Lumumba. La première guerre proprement dite a éclaté en 1993. Tout est parti selon R. Pourtier[2] de la Mutuelle Agricole des Virunga, en abrégée « MAGRIVI », association des Banyarwanda (Hutu et Tutsi) créée en 1990. Cette association s’est autorisée à nommer un certain nombre de chefs coutumiers, lesquels voulaient ignorer l’autorité traditionnelle autochtone. Des tensions d’abord latentes (à cause de la terre, des richesses et de la sous représentativité politique au niveau national des autochtones, la législation sur la nationalité changeante, le tout utilisé par l’élite modernisante). Le 20 mars 1993 poursuit R.Pourtier, les jeunes de « l’ethnie » Nyanza s’en prenèrent aux Banyarwanda : il y a eu des morts sur le marché de Toto près de Walikale[3]. Les Hunde de Masisi entreront en danse avant que les Nande (Ngilima) ne les rejoignent au cours du premier trimestre de l’année 1996. Auparavant, l’arrivée massive des Hutu au Kivu en 1994 après la mort de Habyarimana et la prise du pouvoir par l’AFDL ont renforcé les Banyarwanda (Hutu et Tutsi alliés) parfois contre les autochtones : Hunde notamment. Les missions de pacification envoyées par Kinshasa n’ont pas vraiment abouti, malgré les apparences. Hormis celle conduite par le Général Amela en août 1996, celles encore qui l’ont précédée ont fini par entraîner les troupes congolaises dans la guerre, généralement en faveur des Banyarwanda contre de  l’argent, des vaches et des femmes au détriment des autochtones. On comprend pourquoi ceux-ci (maïmaï) se vengeront sur les Faz en fuite – poursuivies par les unités afdéliennes – qui ont emprunté l’itinéraire de Masisi, pour gagner Kisangani, via walikale et Lubutu – tingitingi, en novembre 1996.

Dans le même ordre d’idées, le pouvoir central de Kinshasa a été affaibli à partir de 1992 au Shaba (Katanga). Sous la direction d’un client politique de Mobutu (Mr Kyungu wa Kumuanza alors gouverneur de cette région et partisan de Nguz), il s’est développé un sentiment anti-kasaïen qui aboutira à plusieurs dizaines de milliers de morts et d’expulsés vers leurs provinces d’origine. Les Kasaïens ont été accusés par les amis de Kyungu de s’être enrichis et d’avoir occupé tous les postes de commandement au Shaba, au détriment des « originaires ». Cette  situation a provoqué un exode sans précédent de la matière grise que l’on trouvait dans cette région au profit de Kinshasa et du Kasaï. Les Katangais en souffrent encore aujourd’hui, au moins à l’Université où la pénurie des enseignants qualifiés est manifeste. Cette « géopolitique » avait gagné le Bas-Zaïre (et dans une certaine mesure le Haut-Zaïre).

En Ituri (Province Orientale), les Lendu se sont violemment opposés,et affrontés aux Hema vers 1998. Les premiers étant considérés comme appartenant au grand groupe de « bantu » alors que les deniers sont apparentés aux Tutsi ou aux Nilotiques venus de la corne de l’Afrique. Les Lendu ont accusé les Hema de s’être appropriés de leurs terres notamment.
Les deux groupes se sont entretués massivement, après avoir bénéficié des circulations intenses des armes entre les mains des milices, particulièrement celles de Hema, à la suite des opérations militaires de l’U.P.D.F (armée ougandaise)[4].

En 2004, deux officiers aux noms de J. Mutebezi et L. Nkunda déstabiliseront le Kivu en général, et la ville de Bukavu en particulier, sous prétexte que malgré les accords de Sun City, les droits des Banyamulenge continueraient à être violés ; il a fallu l’intervention des unités de la MONUC au côté de la FARDC pour mettre fin à cette situation malheureuse. Et pour combien de temps?

Entre 2007 et 2009, le Général « déchu » L. Nkunda, créera le CNPD, « pour défendre les intérêts du Peuple Tutsi », voulant ainsi, remettre en cause les élections organisées en 2006. Mouvement politico-militaire et essentiellement formé des unités Tutsi, le CNPD (Congrès National pour la Défense du Peuple) refusera l’intégration des militaires rwandophones ayant fait partie du R.C.D (Rassemblement Congolais pour la Démocratie) dans les F.A.R.D.C. (Forces Armées de la République Démocratique du Congo).

Il a fallu attendre, l’accord conclu entre les gouvernements congolais (J. Kabila) et rwandais (P. Kagame) au début de l’année 2009 ayant trait à la traque de la F.D.L.R. (Forces Démocratiques pour la Libération du Rwanda), pour voir le C.N.P.D démantelé ou affaibli, avec comme conséquence la mise en exergue de l’Accord Amani signé par tous les groupes rebelles du Kivu en 2008, et dénoncé ensuite par une des parties, le C.N.P.D.

En 2007, le mouvement politico-religieux du nom de « Bundu dia Kongo » s’est distingué au Bas – Congo : il a maltraité les ressortissants congolais d’autres provinces, les accusant d’occuper des postes politico – administratifs ainsi que des emplois salariés, au détriment des Kongo.

Nombre d’« étrangers » ont été séquestrés et mêmes payé de leur vie. Les symboles « neutres » comme l’Eglise catholique ont compté parmi ses victimes, l’assimilant à une religion colonisatrice et anti – traditionnelle.

Son leader, du nom de Ne Muanda  Nsemi (« fils du Dieu ») a même préconisé la destruction des frontières issues de la colonisation de 1885, afin de permettre aux Kongo du Gabon, d’Angola, de la République du Congo et de la République Démocratique du Congo de restaurer le fameux Royaume Kongo. Ce qui a poussé le gouvernement central de réprimer ledit mouvement et de lui retirer sa personnalité juridique en 2008. 



II.                Ethnicité ou fausse conscience :

L’ethnicité telle qu’elle se manifeste, actuellement en RDC, équivaut à une « fausse conscience »[5]. Des éléments comme le découpage territorial ainsi que la culture pratique ou légitime permettent de révéler la fausse conscience des revendications dites aujourd’hui ethniques. Il faut y ajouter, le désir à tout prix d’exercer des activités politico administratives par les leaders instigateurs de luttes ethniques.

La donnée administrative territoriale est traditionnellement une composante fondamentale du phénomène ethnique. Généralement et traditionnellement, les ressortissants d’une même ethnie ont en commun un territoire. Ils occupent un même territoire qui n’est pas forcément politique.

Parfois, le territoire s’identifie à la parenté et non à l’organisation politique : l’organisation parentale (lignage, clan, ethnie) peut être plus vaste que la société politique. Cela est courant dans les systèmes segmentaires ; organisations politiques dominantes en Afrique pré-coloniale.

Cette organisation n’existe plus depuis 1885. Le Kasaï Oriental et Occidental, le Nord et le Sud-Kivu, le Katanga, la Province Orientale, le Bas-Congo, le Maniema, le Bandundu ainsi que l’Equateur actuels n’ont rien à voir avec les sociétés segmentaires ; ce sont des créations récentes qui ne s’identifient plus à aucun peuple qui les occupait avant l’époque coloniale.
J.P. Chauveau et J.P. Dozon écrivent, à ce sujet, s’agissant de la Côte d’Ivoire que les ethnies de ce pays « n’évoquent pas strictement le paysage ivoirien d’avant la conquête européenne ». Ce sont des « inscriptions cartographiques « qui correspondent » à un territoire ou et à un nom ». Lesdites inscriptions contribuent au « travail ethnographique » exécuté par l’Etat colonial ; elles ne portent pas les vraies réalités qui ont existé avant la colonisation. Et  les auteurs d’ajouter que le travail ethnographique (création des ethnies) de l’Etat colonial a été efficace parce qu’il a était relayé et amplifié par les populations ivoiriennes (actuelles) elles-mêmes. Celles-ci sont bel et bien devenues ethnies[6] .

Pour revenir au Congo (Zaïre), ce travail de découpage territorial, créateur des ethnies, a été d’abord opéré par les colonisateurs et poursuivi par les autorités nationales. Il a d’une part favorisé l’hétérogénéité, d’autre part la séparation des populations et territoires anciennement homogènes : ce qui est conforme au vieil adage selon lequel « diviser pour mieux régner».

Il s’agit du caractère arbitraire des références territoriales qui servent de cheval de bataille à une certaine catégorie des leaders politiques zaïrois/congolais. Hier, la Région du Kivu comprenait les actuels Sud-Kivu, Nord-Kivu et Maniema ; aujourd’hui les ressortissants du Sud-Kivu (où se trouvait le siège de la capitale de l’ancienne Région du Kivu) et de Maniema n’ont pas la « légitimité » de représenter le Nord-Kivu (créé récemment en 1989) à Kinshasa, à la Conférence Nationale Souveraine : ils n’ont pas été autorisés à faire partie du groupe régional qualifié de la Société Civile Nord-Kivu.

Création du pouvoir central, les administrations territoriales ne sont que des relais périphériques de l’Etat. Ce qui prouve que l’Etat participe à la fabrication des ethnies, en instituant de nouvelles entités territoriales qui finissent par être appropriées par des élites. Outre l’organisation territoriale, la culture légitime montre que la lutte ethnique est artificielle.

Des éléments de la culture légitime sont souvent partagés par les habitants de chaque capitale régionale de la République Démocratique du Congo (Zaïre) qui constitue pourtant une véritable « mosaïque ethnique » (en milieu urbain). Il en va ainsi des langues (Swahili, Lingala, Tshiluba et Kikongo ainsi que de la langue Française). Certes, ces langues sont loin d’être représentatives des langues et populations congolaises environ 221 « ethnies ». Mais, dans toutes les grandes agglomérations, les citadins communiquent entre eux grâce aux langues précitées notamment. Souvent les enfants et les petits enfants ne parlent pas les langues maternelles de leurs parents. Ce qui fait que souvent encore ils ne communiquent pas avec leurs grands parents. Les villes africaines ou congolaises étant le produit d’exode rural, il s’y développe un mode de vie différent du monde rural.

Outre les éléments de la culture linguistique, les catégories sociales instruites ou intellectuelles, responsables des luttes ethniques ont le même programme d’enseignement, les mêmes grandes références politiques (que l’on soit d’accord ou non, pour ou contre : Lumumba, Kasa-Vubu, Tchombe, Mobutu, Kabila, Tshisekedi, etc.…). Il s’agit d’une culture politique commune  bien qu’élitiste. Car appartenir à une culture c’est être capable d’en donner des significations de tous les gestes qui s’y déroulent ; que l’on soit d’accord ou non[7].

S’agissant de la culture populaire, retenons que la musique congolaise moderne est très connue et pratiquée massivement par de millions des congolais. Ils sont cependant nombreux à ignorer la musique traditionnelle (ainsi que les noms des musiciens de cette musique) ; les jeunes particulièrement l’écoutent moins, même si, elle est jouée dans la langue de l’ethnie dont on se réclame. Bref, la musique « moderne » se développe au détriment de la musique traditionnelle. Elle constitue cependant un facteur nationaliste centripète.

Ce qui nous amène à soutenir l’idée que ce ne sont pas les ethnies qui s’affrontent en R.D.C, mais les éléments humains faisant partie de l’ " élite modernisante" pour l’appropriation des biens symboliques et économiques modernes encore. Il n’est pas un secret, pour les observateurs de la scène politique africaine, de constater que les luttes ethniques sont la création et l’instrument entre les mains des responsables politiques, pour l’accès aux biens économiques et symboliques modernes[8]. Ces politiciens font partie d’un champ politique[9].

Nombre de raisons nous permettent de valider cette affirmation. D’abord, comme l’écrirait J.F. BAYART, parmi les revendications autonomistes ou ethniques, la quasi-totalité ne portent pas sur la valorisation des composantes culturelles mais, au contraire sur des biens liés au pouvoir économique et politique. Nous en voulons comme preuve le fait qu’il est courant d’entendre (ou de lire) à travers les antennes de la presse orale zaïroise (congolaise), de la bouche des leaders politiques ce qui suit :

« Notre ethnie ou région n’a jamais eu de ministre ou de premier ministre au cours de la deuxième République notamment » ou encore récemment « Notre ethnie n’a jamais eu de leader qui se confirme politiquement sur le plan national ; mobilisons-nous tous dernière Monsieur le Professeur Docteur… ». Ils en insistent à chaque occasion de compétition politique. A les écouter, on aurait l’impression qu’il suffit qu’un ressortissant d’une « ethnie » ou région occupe un poste gouvernemental par exemple pour que les problèmes sociaux de ladite ethnie cessent. En fait, il s’agit d’un non-dit idéologique : ce sont des éléments élitistes qui se servent de cet argument pour la satisfaction de leurs intérêts propres ; il appartient donc aux savants de le révéler et non aux acteurs.

Concrètement, ces mouvements sont des produits des élites modernisantes comme N’Kunda. L, Mutebezi  J, Kyungu K et Ne Muanda Nsemi, ayant acquis une culture occidentale (diplôme ou formation de type universitaire), évoluant dans les emplois salariés etc.

Leur objectif comme on l’a vu, est d’accéder aux biens matériels et symboliques (politique, économique, honneur) qui n’ont rien à voir avec la culture traditionnelle qui fonde l’ethnicité. Nkunda n’a jamais demandé que le kinyarwanda devienne, par exemple, une langue nationale en R.D.C., mais son souci est de conclure des accords avec le gouvernement central en vue du partage des responsabilités politiques et administratives. Preuve, les anciens du R.C.D. qui ont été servis par l’accord de Sun City se sont acclimatés avec l’aisance de Kinshasa ; au moins officiellement ils ne disent plus rien.

Pour revenir à la Province Orientale, précisément en Ituri, Thomas LUBANGA  et autres ne cherchaient que l’exercice du pouvoir politique d’Etat. Avant qu’il n’ait été transféré à la Haye,  il n’a cessé de demander de négocier avec le gouvernement central.

En Ituri toujours, l’armée étrangère ougandaise (U.PD.F.) a allumé le feu : l’élite Hema, particulièrement « le sous-clan extrémiste des Gegere » forte de sa position économico-financière importe des armes et forme ses propres milices, l’objectif final étant de consolider son pouvoir économique dans la région[10].

L’acte de rébellion du Bundu dia Kongo s’est déclenché aussitôt que Ne Muanda Nsemi ait été battu aux élections provinciales pour la désignation du gouverneur du Bas-congo, bien que sa famille politique détenait la majorité sur papier.

Non seulement on réclame les emplois et le pouvoir pour les Kongo au Bas-congo, mais encore Ne Muanda Nsemi se dit aujourd’hui être prêt pour prendre la direction de la R.D.C., en s’appuyant sur les Kongo : « il a déclaré aussi que depuis son intervention du 26 mars 2008 à l’Assemblée Nationale, les R.D. Congolais de toutes les provinces habitant Kinshasa ont apprécié son courage et émis le vœu de le voir désormais porter la casquette de Porte-parole et leader du peuple R.D.Congolais »[11].On passe donc de la « propagande inavouée » à la « propagande avouée ».

On s’aperçoit que l’élite modernisante utilise les ethnies (en fait de fausses consciences ethniques) pour des fins de domination et d’enrichissement. S’agissant du Nigeria, E. Mbokolo, montre, comment, tout en étant d’accord sur l’essentiel, ayant les mêmes origines sociales et culturelles (diplôme ou formation, style de vie etc.), les  élites de ce pays recourent au critère ethnico – religieux pour se démarquer des autres pendant les élections[12]. C. Coulon ne dit pas autre chose, lorsqu’il écrit (en reprenant l’hypothèse émise par R. Sklar) que « nombreux exemples prouvent que des mouvements à caractère « tribal » peuvent parfaitement être suscités ou manipulés par ces élites « modernisantes » dans le but de se créer une base politique ou de « diviser pour mieux régner »[13].

Le discours de l’ethnicité, en fait la fausse conscience, est d’autant plus efficace que la masse aime, selon A. de Tocqueville, des idées courtes.
Ceci est renforcé par la technique de communication politique reposant sur la propagande inavouée (J.P. Piamme).

La stratégie des élites est d’autant plus surprenante qu’elle opère même au sein des groupes sociaux homogènes comme chez les atetela à Lodja. Les élites modernisantes y ont introduit une division artificielle, consistant à scinder les habitants en deux groupes conflictuels : «  Les atetela de la savane » contre ceux de « la forêt » et vice versa. La masse s’y mêle dans une lutte qui lui est, absolument, étrangère : recherche des profits, des postes politiques et administratifs, des avantages matériels pour les élites modernisantes et leurs familles nucléaires. Cette opposition  prend une allure malheureuse et destructive, en raison de la tendance à la professionnalisation de la vie politique et administrative. Tous les éléments de l’élite ne préparent aucune relève ! Ils manifestent le désir de demeurer dans la politique active étant donné son caractère rémunérateur en biens, en symboles et en domination, en s’appuyant sur les masses ignorantes.

En réalité, les deux groupes des atetela ont la même histoire, la même ethnologie ou culture, la même langue, les mêmes opportunités et les mêmes menaces. Les politiciens se battent pour que la conscience unitaire des atetela ne se développe pas. Car le contraire entraînera la disparition politique des élites modernisante ; la politique étant un domaine en quête permanente de bouc émissaire et d’assise imaginaire collective qui n’est que la négation de la réalité.








CONCLUSION



En conclusion, le développement des luttes dites ethniques ces deux dernières décennies en R.D.C. n’a rien à voir avec l’ethnicité. Il s’agit de la stratégie efficace des compétitions politiques. Ce sont les élites modernisantes qui se battent pour accéder aux postes politico-administratifs ou aux avantages matériels et symboliques inhérents à l’Etat ou à la société moderne. Les populations s’y mêlent, sans savoir qu’elles le font pour le bien des élites, ignorant les vraies raisons de la fausse conscience.

Les luttes dites ethniques sont donc de fausses consciences au regard du support territorial et culturel notamment traditionnellement lié à leurs origines.

La meilleure façon de les étouffer est d’éduquer et de former politiquement les masses populaires afin qu’elles sachent qu’elles s’engagent dans une entreprise qui ne les concerne pas et qui est susceptible de freiner leur développement en détruisant la paix sociale.




BIBLIOGRAPHIE

1.       R. Pourtier, La guerre au Kivu, in Afrique Contemporaine, numéro spécial : L’Afrique face aux conflits … octobre – décembre 1996.
2.       Politique Africaine (Revue), Zaïre, pays à reconstruire, n° 39, 1991.
3.       LOHATA. T.O, Idéologie démocratique au Zaïre. Thèse de doctorat en 2 tones. Faculté de Droit et de Sciences Sociales et Politiques. Univ. de Picardie, 1990.
4.       LOHATA T.O, Techniques de fabrication des ethnies en Afrique. Cas du Rwanda. Carep (Revue) n° 001 C/0 U.L.P.G.L/Goma, 1996.

5.       J.P. Chauveau et J.P. Dozon, in l’Etat contemporain en Afrique (sous la direction de E. Terray), l’Harmattan, 1987.
6.       G. Nicolas, Crise de l’Etat et affirmation ethnique en Afrique contemporaine, R.F.S.P,  n° 5, 1972.
7.       F. Chatelet et E. Kouchner, Les conceptions  politiques du XXème siècle, PUF, 1980
8.       L. Althusser, Idéologie et appareils idéologiques d’Etat, in la Pensée, n° 151, juin 1970.
9.       R. Dumont, l’Afrique est mal partie, seuil, 1962.
10.   J.F. Bayart, l’Etat en Afrique, Bayard, 1989.
11.    J.F. Bayart, Illusion identitaire, collection « L’espace du politique », Fayard, 1996.
12.    J.P. Piamme, La propagande inavouée, U.G.E. 10-18, 1975.
13.    C. Coulon, Systèmes politiques et société dans les Etats d’Afrique Noire, in Revue française de science politique, octobre 1972.
                        


[1] Nous avons nous-mêmes assisté à cette situation lors de notre passage à Masisi, à cette époque.
[2] R. Pourtier, la guerre au Kivu : un conflit multidimensionnel in Afrique contemporaine, numéro spécial : l’Afrique face aux conflits sous la direction de Jean au Bois de Gaudusson et Michel Gand, Octobre – décembre 1996. voir également politique africaine : « zaïre, pays à reconstruire », n° 239.
[3] R. Poutier, Ibid.
[4] Communicateur n° 172 du vendredi, 22 novembre 2002.
[5] Nous empruntons à L. Althusser cette expression. Selon lui, l’idéologie est un exemple de fausse conscience car « ce qui se passe en réalité dans l’idéologie semble donc se passer en dehors d’elle. C’est pourquoi ceux qui sont dans l’idéologie se croient par définition en dehors de l’idéologie … » cité par J.P. Piamme, op.cit.
[6] J.P. Chauveau et J.P. Dozon, l’Etat contemporain en Afrique (sous la direction de E. Tenay), Op. Cit., pp. 230-131.
[7] B. BADIE, Culture politique, cité par Lohata, Idéologie, op.cit
[8] On peut lire notamment J.F. BAYART, l’Etat en Afrique, Fayard, 1989.
[9] Par champ politique, nous entendons, l’existence d’un groupe social de domination politique caractérisé par la manifestation es intérêts propres tant vis-à-vis d’autres groupes sociaux (culturel, économique, social, etc..) que de l’environnement sociale entier. C’est  ainsi que les éléments appartenant à ces groupes disposent des stratégies multiples pour occuper une position, puis maximiser le profit comme l’écrit P. BOURDIEU : « Les champs se présentent à l’appréhension synchronique, comme des espaces structurés de position (ou de postes) dont les propriétés dépendent de leur position dans ces espaces et qui peuvent être analysées indépendamment des caractéristiques de leurs occupants (en partie déterminées par elles) » in Questions de sociologie, Minuit, 1980.
[10] Communicateur n°172,  op-cit.
[11] Africa News, Série II, n°168 du lundi 07 au jeudi 10 avril 2008 (à Kinshasa).
[12] E. Mbokolo, le continent convoité, Etude vivantes, 1980 p. 118.
[13] C. Coulon, Systèmes politiques et société dans les Etats d’Afrique noire, p.1063, in Revue française de science politique, octobre 1972.

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