lundi 21 juin 2010

La réinterprétation de l'Etat en RDC

L’Etat moderne qui constitue aujourd’hui, une organisation politique qui s’est imposée, partout dans le monde, conformément aux prévisions de M.Weber[1], contre celles de K.Marx est né, à en croire J.P. Ginet[2], d’abord en Europe, précisément en France, en Angleterre, en Ecosse ; avant de gagner l’Allemagne, l’Europe Centrale, l’Italie et ensuite la Scandinavie entre le 13ème et le 16ème siècles. C’est seulement à la fin du 17ème et au début du 18ème siècles qu’il se diffusera vers la Russie. L’empire Ottoman (actuelle Turquie) n’a été touché qu’au 19ème siècle[3].

Les continents américains et africains ont adopté cette forme d’organisation, par le biais de la colonisation, respectivement au 18ème et au 19ème siècle. Au-delà des ressemblances, les institutions politiques et administratives en général, et l’Etat en particulier recouvrent une autre réalité en Afrique Noire ou en RDC. Il n’est nullement question de nier leur mimétisme tant sur le droit que sur les institutions politiques européennes  notamment. Mais, il s’agit d’un mimétisme apparent ou formel

L’Etat congolais ou africain est une organisation politique << réinterprétée >> ou en cours de réinterprétation comme le dirait G.Balandier ou J.F.Bayart[4]. Non  seulement que les dirigeants du continent noir peuvent s’inspirer à la fois du registre traditionnel et colonial, mais encore sont entrain d’inventer de nouveaux systèmes politiques en général, et la nouvelle forme d’Etat en particulier, lequel ne ressemble, ni au premier ni au dernier. Cette forme d’organisation aux propriétés spécifiques non seulement ne peut pas développer le régime démocratique représentatif (corollaire de l’Etat libéral ou moderne né en Europe) ni le régime démocratique direct (en vigueur dans les cités-Etats athéniennes ou romaines) encore moins le régime démocratique ancien (présent dans certains Etats africains traditionnels à dominante orale comme le   royaume de Yatenga). L’autoritarisme et la dictature qui découlent de l’Etat réinterprété sont autant spécifiques que ce dernier.

 

I. La réinterprétation institutionnelle

L’institution doit être entendue, au sens large : elle comprend à la fois les structures ou organes politiques et les dispositions juridiques ayant trait à l’organisation et à la contrainte dans un ensemble social, mais encore les formes << instituées >> proprement dites et surtout << instituantes >>[5].

D.G.Lovroff [6] a bien mis en exergue, la spécificité des Etats africains contemporains, au regard de leur institutions politiques, en écrivant que la constitution du Burundi, post-royal, tout en reconnaissant que le peuple était souverain, n’avait nullement fait allusion au mot élection.

Pour revenir à la RDC (zaïre), un régime dit présidentiel, comme celui  de Mobutu (1965-1990), on y trouvait l’institution du premier ministre, sans évidemment aucun pouvoir, au cours de la deuxième République. Ceci relève donc de l’innovation socio-politique.

C’est dans le même ordre d’idées qu’il faut situer le mode de gouvernement que l’on appelle << consensuel ou inclusif >> ou encore << consociatif  >> issu notamment de l’accord de Sun city (Afrique du Sud). Le consensualisme classique est un mode de gestion gouvernemental qui s’est imposé, selon Lijphart[7], à l’origine, en Europe auprès des élites-Suisse, Belgique, Pays-Bas, etc.- dans des pays où les clivages linguistiques et culturels profonds traversent les sociétés civiles. Il s’agit d’une forme de gouvernement fondée sur l’entente entre les dirigeants ou les responsables politiques de la majorité et de la minorité, qui débouche sur l’association de cette dernière à la gestion des affaires de la cité.

Bien que les sociétés africaines actuelles soient considérées comme plurales, il n’y existe pas, particulièrement en RDC des clivages inconciliables au sein de la société civile. Contrairement au consensualisme classique, celui qui est entrain d’être recherché ou inventé par l’élite congolaise, au travers notamment de l’Accord de Sun city conclu en 2003, ne repose pas sur les conflits sociaux civils profonds. Car, ceux-ci sont conciliables : les langues comme le français et le lingala étant acceptées et pratiquées sur toute l’étendue du territoire national. De plus, les éléments de l’élite ont le même style de vie, les mêmes diplômes, les mêmes origines sociales[8].

Les conflits sur lesquels veulent reposer le consensualisme à la congolaise d’avant les élections de 2006, sont politiques et élitistes et non ceux de la société civile. Les élites politiques européennes ont la possibilité d’occulter leurs intérêts propres, en invoquant ceux de toute la société, bénéficiant de la qualité de représentants, étant issus des élections. Il est difficile, de ne pas voir, non seulement, en l’absence des conflits sociaux ou civils irréconciliables que l’élite politique congolaise  ne cherche  qu’à satisfaire ses propres intérêts. De plus, les négociateurs européens tirent leur légitimité des élections. Ce sont les élus ou mieux les mandataires qui négocient au nom du peuple mandant.

En revanche, en R.D.C., les négociations ou les dialogues ont eu lieu, en dehors des élections. Il se pose, en conséquence, un sérieux problème du déficit démocratique. Les négociateurs tirent leur légitimité du charisme, de la guerre, de l’influence étrangère, de  la cooptation et du << légitimisme >> c'est-à-dire de l’occupation d’un poste politique. Ceci conforte notre thèse, selon laquelle, ils ne représentent généralement qu’eux-mêmes. Faute d’une base formée soit d’électeurs, soit de la population dans son ensemble, l’instabilité politique et gouvernementale en est servie. Conscients de cette réalité, les signataires de l’accord de Sun city avaient consacré l’irresponsabilité politique en décidant que le parlement ne censure pas le gouvernement pendant la transition (2003-2006).

Parmi les institutions les plus novatrices, issues dudit accord, il convient de citer notamment la fameuse << 1+4 >> c'est-à-dire que l’exécutif étant composé d’un président et de quatre vice-présidents de la république, chargés chacun de la commission politique ; juridique et sécuritaire ; de la commission socio-culturelle ; de la commission économique et financière et enfin de la commission de la reconstruction. Il s’agit d’une formule inédite !
Les quatre vice-présidents ne détenaient qu’un pouvoir politique, seul le président de la république avait à la fois le pouvoir juridico-administratif et politique : les premiers n’étaient pas habilités à prendre des décisions administratives  individuelles et réglementaires, mais politiquement très influents quand bien même ils ont plus d’une fois tenté de bloquer le fonctionnement des institutions de  transition ; ils ont réussi d’éloigner l’Etat de sa logique moderne et formelle.

Décidemment, la transition de 2003 à 2006 a été riche en innovation politique. Le projet d’une disposition législative électorale ayant trait à l’instauration d’une << liste fermée et zébrée >> afin, officiellement, de favoriser la parité entre le nombre d’hommes et de femmes élus, fait partie du processus de réinterprétation bien qu’il ait été abandonné. Comme  d’habitude, la pression étrangère et des stratégies d’hégémonie et de représentation nationale en ont été à la base. La RDC devient donc, un terrain ou un laboratoire d’expérimentation politique.

Le processus de réinterprétation n’est pas limité à une période ou à un régime politique. Il est présent au cours de la première et de la deuxième république. Il n’est pas limité à la transition. La loi fondamentale de 1960 qui a régi la première république a donné au chef de l’Etat des pouvoirs comparables à ceux du roi belge. Produit de grands électeurs, le président de la république avait le pouvoir, moyennant le contreseing de deux ministres, de révoquer le premier ministre chef du gouvernement et de la majorité et surtout il était politiquement irresponsable. Mais à la différence du roi, le président a bénéficié de la légitimité du peuple : grands électeurs.

De 1960 à 1990, période correspondant à la deuxième république, le parti unique Zaïrois appelé M.P.R (mouvement populaire de la révolution) créé en 1967 par le président Mobutu a surpris plus d’un observateur, de par son caractère  sui generis, selon lequel la détention de la nationalité confère l’obligation inconditionnelle d’appartenir à cette formation politique. Cette expérience inédite a fait couler beaucoup d’encre. C’est << l’imposition d’une problématique >> selon l’expression chère à P.Bourdieu ) qui est à l’oeuvre dans l’idéologie mobutiste. On donne à la population ce dont il n’a ni demandé ni besoin. Inspirés par l’authenticité, les constituants Zaïrois ont adopté une disposition selon laquelle, le << peuple Zaïrois est organisé au sein du mouvement populaire de la révolution >> (article 8 de la constitution du Zaïre. Loi n°74-020 du 15 août 1974).

Ainsi, est né le fameux slogan officiel : << olinga olinga te, ozali se na M.P.R.>>. ² L’adhésion² au MPR est inconditionnelle. Elle est obligatoire dès lors que l’on porte la nationalité zaïroise. Il n’y aurait pas, dans ce pays, de spectateurs politiques ; tout congolais y serait membre actif. Littéralement le slogan précité signifie en français ce qui suit : qu’on le veuille ou non, on fait partie du M.P.R., << il constitue donc un exemple tout à fait original de parti politique dont on devient membre par le seul effet de la nationalité, sans qu’il soit besoin de faire acte de candidature >>[9]. C’est l’acte unilatéral, politique ou administratif qui donnerait naissance à l’unité nationale et à l’Etat et non bilatéral (contrat) comme il en est de coutume dans le monde libéral.

II. Réinterprétation inhérente à la pratique socio-politique

La réinterprétation n’est pas seulement présente dans les institutions, mais également dans l’ensemble des pratiques ayant trait à la gouvernabilité et à la politique alors que l’institution véhicule la contrainte, la pratique sociale se reconnaît à travers les relations interactionnelles : l’autoritarisme africain, le néo-patrimonialisme, les comportements électoraux et la pratique magico-religieuse peuvent servir d’exemples y relatifs.

-          L’autoritarisme africain : l’objectif de la domination hégémonique, par les idées au sens de Gramsci, n’ayant pas été atteint, ce qui a traduit l’échec du mobutisme culturel (authenticité), les autorités zaïroises en général, et le président Mobutu en particulier, ont dû recourir massivement à la violence physique illégitime ; ce qui traduit encore bien l’inefficacité du discours politique (authenticité) des autorités précitées. C’est là une caractéristique de l’autoritarisme africain ; comme l’a bien vu D.Bourmaud qui écrit que << le Kenya illustre donc ce que la science politique désigne par le terme " autoritarisme " cet océan où naviguent de concert des systèmes politiques ni démocratiques au sens Européen du terme, ni franchement dictatoriaux. Coercition et idéologie s’y combinent subtilement pour donner ce produit hydride qu’est l’autoritarisme >>[10]. Alors  que l’autoritarisme classique étudié par G.Hermet s’agissant des pays de l’Amérique latine, de l’Espagne et de l’Iran qui l’ont produit, repose essentiellement ou exclusivement sur la violence.

Le comportement électoral des congolais

Comme l’autoritarisme, le comportement électoral peut révéler la réinterprétation de la politique et du pouvoir lié à l’Etat en Afrique et en RDC. Dans ce pays, il oscille entre le rationnel et l’irrationnel. Les élections présidentielles, législatives et provinciales organisées en 2006 en constituent une éloquente illustration.

Irrationnel, le comportement de l’électorat l’a été  dans la plupart de circonscriptions de Kinshasa par exemple, où les variables ethnicistes,  népotiques et financières ou matérielles ont été plus fortes que l’idéologie politique ou l’appartenance à la mouvance présidentielle ou à l’opposition. Globalement, les candidats ont obtenu plus de suffrages auprès des ressortissants de leurs ethnies ou origines << géopolitiques >>. L’élément le plus intéressant fut cependant d’ordre matériel compte tenu du niveau élevé de paupérisation de la population. Ainsi, le discours sur le programme intéressait peu les électeurs, rassemblés pour << écouter >> le candidat : souvent, on l’interrompait pour exiger de lui des promesses d’argent de transport ou de nourriture. Et cela déterminait dans une certaine mesure l’orientation du vote.

En revanche, le comportement rationnel était aussi présent, dans certaines situations : à Kinshasa, le seul fait d’appartenir au camp de l’UN (Union pour la Nation) considéré comme opposition à Kabila, et partisans de J.P.Bemba prédisposait le candidat à réunir un grand nombre de suffrages à l’élection législative ou provinciale. J.P.Bemba lui-même n’y a rien distribué ou dépensé en termes financiers et matériels, mais il a battu Kabila à Kinshasa.

Bref, le comportement électoral des congolais est à la fois rationnel et irrationnel. Cela est aussi vrai pour les électeurs que les candidats. Dans le Sankuru, par exemple bien des candidats ont utilisé concomitamment de l’argent, la parenté, l’église, les fétiches, l’idéologie ( partisan de Kabila ou de Bemba ), et la fraude ; cela s’est pratiqué partout ailleurs en RDC. De même, le seul fait d’être partisan de J. Kabila dans les provinces de l’Est assure au candidat l’éligibilité ou les chances d’être élu. On comprend pourquoi Kabila y a obtenu un score sans appel au détriment de son rival. On s’éloigne donc du paradigme de Michigan aux USA et de celui véhiculé en France dans le << Cens caché >> ou << ségrégation culturelle >> proposé par D.Gaxie, pour nous retrouver avec un modèle inédit où se côtoient la rationalité et l’irrationalité.

Outre l’autoritarisme spécifique et le comportement électoral, le néo-patrimonialisme peut également confirmer notre thèse. Lorsqu’on accède au pouvoir politique et administratif, par des voies autres que celle de la démocratie et de la rationalité, la tentative est grande de considérer que les hommes que l’on dirige sont ses sujets et que les biens dont on a la charge de gérer sont les siens[11]. C’est cela le patrimonialisme.

Comme l’a bien vu, pour  A.S.Mesheriakoff[12], l’accès au pouvoir politico-administratif, est dominé, en Afrique, par les modes anti-démocratiques et irrationnels comme la cooptation et le coup d’Etat. Ce dernier y est plus fréquent que le premier. Il en découle que le bénéficiaire du coup d’Etat n’a aucun compte à rendre à la population ; il entend concrètement gérer l’Etat comme son bien personnel.

Or, le néo-patrimonialisme ainsi que ses conséquences (clientélisme, népotisme, corruption etc…) sont des pratiques complexes empruntant à plusieurs registres culturels. Le néo-patrimonialisme n’est ni une pratique simplement ancienne ni européenne. Il comprend des traits dus au mimétisme juridico-politique d’origine européenne ou occidentale ( l’existence d’un ensemble des  textes juridiques comme en Europe et régissant la vie politique  et administrative, interdisant par exemple la concussion et la corruption), la conception patrimonialiste des biens de la société, comme dans certains systèmes politiques traditionnels ainsi que le pouvoir de chantage exercé par les agents ou acteurs dominants, chantage relevant de la stratégie et s’exerçant sur les usagers des services publics (afin d’obtenir d’eux des avantages patrimoniaux contre des services ) ainsi que la capacité synthétique de différents traits culturels par lesdits acteurs ; synthèse  à la fois                                                                                 consciente et inconsciente de différents traits culturels : c’est cela l’innovation.

La spécificité du néo-patrimonialisme en Afrique et en RDC se situe à plusieurs niveaux : la corruption qui est une de ses conséquences à gagné tous les secteurs ; elle y a atteint des proportions inégalées. Ensuite, il s’agit de la corruption de prédation et non du développement, le patrimoine de l’Etat est en position d’unicité et enfin, l’accès  au pouvoir emprunte des voies non démocratiques comme les cooptations, les négociations et les coups d’Etat militaire.

Outre l’autoritarisme, les comportements électoraux et le néo-patrimonialisme, le recours aux pratiques magico-religieuses, apporte des illustrations sur la réinterprétation du pouvoir et de l’Etat en RDC.
La pratique magico-religieuse, dans les Etats africains fait parties des innovations socio-politiques du continent noir en général, et de la RDC en particulier. Son ampleur mérite que l’on s’y attarde ; ce qui nous contraint de déroger à la règle de l’unicité méthodologique.

La période post parti unique, intervenue à partir du 24 avril 1990, a révélé nombre de réalités politiques insolites. On y apprend notamment l’existence du phénomène  sacré au titre d’accord du sang, conclu entre le Président Mobutu et certains de ses collaborateurs les plus fidèles. Il s’est agi du pacte appelé << Prix Makuria >> : le premier et les derniers se seraient donnés à boire leur sang, en guise de soutien pour Mobutu et d’avantages en termes d’emplois politiques pour ses collaborateurs. Concrètement, les derniers ont juré de ne pas trahir le Président ; celui-ci leur a assuré de la stabilité et de la durée dans l’exercice des emplois politiques.

La plupart de personnalités qui veulent accéder au pouvoir ou le conserver avaient tendance à recourir aux pratiques magico-religieuses. Celles-ci, étaient considérées comme ressource efficace. Ainsi, Sakombi Inongo, ancien mobutiste notoire, après avoir déclaré s’être reconverti au christianisme a maintes fois, depuis 1990, reconnu publiquement avoir fréquenté, avec les autres, les cimetières, particulièrement, lorsque les remaniements s’annonçaient. Ce qui confirme les enseignements ou la position que la philosophie bantoue ( Cfr.R.P. Temples ) attribue aux morts ou ancêtres, lesquels continueraient selon les africains à protéger, les membres de leurs familles vivantes ; ils seraient également capables de leur jeter un mauvais sort : d’où la divination dont ils font l’objet comme l’écrit G.Balandier. Certaines personnes vivantes comme les magiciens et surtout en RDC, les << Nganga >> en Lingala, << Wetshi >> en Tetela ( langue parlée au Sankuru )et féticheurs en français détiendraient un pouvoir sur les autres membres de la société.

La fréquentation des cimetières ou des féticheurs n’est pas seulement le fait de Mobutu et de ses acolytes ou d’une période, mais de tous les animateurs de la vie politique africaine et congolaise. C’est  ainsi que la presse congolaise a fait état à la fin des années 90, d’un incident qui s’est passé entre un responsable politique << au garage >> et un féticheur dans la commune de Kinshasa/Matete. L’intéressé avait tout remis au dernier sa richesse (voir son unique voiture) afin qu’il lui donne mystérieusement la chance d’être nommé ministre par L.D.Kabila. Lorsque après remaniement, il n’a bénéficié, d’aucun poste ministériel, il a pris l’option de se venger contre le féticheur charlatan. Ce dernier y a échappé en se volatilisant, avec sa famille, dans la nature.

Des opposants et rebelles comme les " Mai Mai " ( 1964, 1994-2007 ) qui se disent les héritiers de P.E. Lumumba, utilisent une série d’interdits et rites ( évictions des contacts avec les femmes adultes ou mariées, interdiction de retourner ou de regarder derrière sur le champs de la guerre, interdiction encore de voler et de se laver, adhésion à la poussée de cri Maï Maï= tout sera l’eau etc.) pour ne pas tomber face à l’ennemi relèvent des pratiques magico-religieuses. Il s’agit pour eux, des représentations susceptibles de les conduire au processus de prise de pouvoir. La paternité de ce mouvement revient à P.Mulele, ancien ministre de l’éducation du gouvernement Lumumba formé en Chine, partisan du socialisme marxiste. On peut à la lumière de ce qui précède se demander si les marxistes africains continuent à considérer que les représentations font partie de la superstructure ?

Actuellement, le recours au christianisme par la classe politique congolaise, est devenue monnaie courante. Les églises de réveil notamment se multiplient à un rythme inédit. Elles clament tous les jours que << Dieu aime la RDC >> et particulièrement la ville de Kinshasa. Selon  elles, Kinshasa, pour cette raison, ne peut pas connaître la guerre. Elles avancent comme preuve, le fait que malgré les tensions qui ont prévalu, pendant les élections de 2006, en particulier, les affrontements armés ayant opposé les unités gouvernementales à la milice de Bemba, la vie y est sauve. Il faut noter, le poids du non dit idéologique, dans ce discours, lequel refuse de mentionner le rôle préventif de la communauté internationale  autour des unités de la Mission de l’ONU pour le Congo et les Forces Européennes.

Dans le même ordre d’idées, J.P Bemba et son parti, le MLC (Mouvement de Libération du Congo), avaient, au cours de la campagne électorale de 2006, opté pour un slogan officiel, selon lequel, << Avec Dieu, nous vaincrons >>.Nombre d’hommes d’Etat comme Sakombi Inongo, H. Ngwanda, A. Ruberwa etc. se sont faits des pasteurs chrétiens et n’hésitent pas de prêcher publiquement << la bonne nouvelle >>. De même, à l’issue de son élection en qualité de gouverneur de la province du Katanga, Moïse Katumbwe après avoir remercié le Président Kabila et sa famille politique (Alliance pour la Majorité Présidentielle), a terminé son allocution en ces termes :<< ce n’est pas pour rien qu’il s’appelle Joseph (faisant allusion à Joseph Kabila ) et moi, Moïse >> ( Cfr. Radio Télévision Digital Congo, journal de 22 heures en date du 27/01/007). Ce qui confirme l’affirmation de J.F. Bayart selon laquelle, les congolais forcent la ressemblance avec Israël.(13)

Pour revenir aux pratiques magico-religieuse de type traditionnel, citons l’exemple d’une information diffusée, par le correspondant de la radio Top Congo, basé à Kisangani ; élément capté à Kinshasa, en date du 02 février 2007, à 7 heures au cours du journal parlé, selon lequel, un ancien député de transition (2003-2006) et candidat à la sénatoriale, a sur recommandation de son féticheur, violé sa nièce de sept mois. Il s’est agi d’un acte qui aurait pu augmenter sa chance d’être élu à l’échelon précité. L’enfant n’ayant pas encore commis aucun adultère serait doté d’une puissance surnaturelle.

La Radio Française Internationale (RFI ) avait diffusé un élément semblable sur le Gabon, selon lequel d’après la population, deux enfants trouvés morts, auraient été victimes de la tuerie rituelle : les hommes politiques se seraient servis de leur parties pour en faire de fétiches afin de consolider leur position de domination ( Cfr. RFI, journal parlé du 08 février capté à Kinshasa à 7h30').

Les exemples sont innombrables. Dans une émission politique organisée par la télévision C.C.T.V et diffusée le soir, en date du 03/02/2006 à Kinshasa, un partisan de J.P. Bemba, y accusait le camp du Président Kabila << d’avoir fait venir un magicien au Palais du Peuple pour déstabiliser leurs adversaires. Ce magicien est connu des Kinois  car il a l’habitude de travailler pour certaines équipes de football, grâce aux fétiches.>>. La réinterprétation de l’Etat et de la politique y relative est une donnée permanente en Afrique et en RDC. Elle appelle une série de commentaires.

III. Conséquences et commentaires liés à la réinterprétation

On l’a vu, la réinterprétation de l’Etat repose sur la multiplicité d’influences ou de traits culturels. D’abord, ceux-ci se neutralisent : le régime qui en découle, contrairement à celui issu d’un trait pur comme  l’Etat moderne, n’associe  ni  la population  à la gestion  des  affaires publiques, ni ne garantit  ses droits.  La confusion  des traits de la culture  politique en Afrique  donne  les pouvoirs non aux << citoyens >> lesquels n’existent que dans la théorie mais aux auteurs politiquement et socialement dominants. Ils sont à la fois acteurs ou auteurs des innovations sociales et parmi ses premiers bénéficiaires.

Acteurs ou auteurs  de la confusion des traits culturels, la classe dirigeante dispose du pouvoir d’interprétation de sens, d’options et de choix des régimes politiques. Les idéologies dominantes en Afrique comme la négritude, l’authenticité, le socialisme africain ainsi que les comportements politiques confus d’avant ou d’après la période d’instauration du pluralisme n’assurent pas la promotion de la vraie liberté ou démocratie, parce qu’ils opèrent un choix arbitrairement sélectif, généralement, en faveur des régimes dictatoriaux centripètes modernes ou traditionnels, rejetant la richesse et la plupart des systèmes politiques dont on sait de par les écrits des historiens qu’ils sont majoritairement segmentaires. En quoi le Royaume Kongo et l’empire Lunda sont-ils traditionnellement plus africains que les royaumes de Yatenga et de Merina ( selon J.W.Lapierre  cité par Lagroye, ce royaume né au 19ème siècle à Madagascar est comparable aux empires Inca et Mossi et aux cités-Etats d’Athènes et de Rome ) ou les sociétés politiques qui ont élu domicile chez les Nuers du Soudan ? Pourquoi l’Etat africain reprend-il certains traits dominants de Louis XIV, de Missoulina et non par exemple ceux de l’Etat de lumière dans la pratique ?

L’Etat moderne né en Europe  à la faveur de la reconnaissance a gagné en clarté (séparation du pouvoir spirituel et temporel) ; il a été déterminé notamment par les guerres (Weber, Ginet, Elias), la propriété industrielle privée (Marx) et dont la rationalité ou le droit constitue, à en croire M.Weber un trait essentiel, il considère les individus ou mieux les citoyens comme étant à la fois à l’origine du pouvoir politique (et non Dieu) et différents de celui-ci.

Par ailleurs, la place qu’occupe le spirituel dans la vie politique africaine et congolaise n’est pas favorable au développement d’un régime démocratique ; il n’est pas absent à la dictature et à l’autoritarisme qui ont longtemps élu domicile en RDC. La raison est que, contrairement aux principes de l’Etat dont le temporel est séparé d’avec le spirituel, l’Etat magico-religieux considère que le pouvoir en politique se situe en dehors de l’individu : le pouvoir viendrait de Dieu, du magicien, du féticheur, des morts, du sorcier etc. ce qui contredit l’idéologie libérale qui a donné naissance à la démocratie classique théorisée par A. Lincoln. Bref, le pouvoir serait étranger et extérieur à l’individu. Alors que l’idéologie précitée enseigne que l’individu est au cœur du pouvoir ; il est à la fois source et souverain : le pouvoir de commandement découle de l’union des citoyens, peuple (14).

Certes, tout pouvoir ou mieux toute société politique repose sur un système de représentations mais, l’Etat magico-religieux mélange le temporel et le spirituel et soumet le premier au second. Par conséquent, les individus ou mieux les citoyens deviennent étrangers au pouvoir, auquel, ils sont soumis.

La spécificité de l’Etat magico-religieux en Afrique et en RDC, réside dans le fait que le spirituel est << pluriel >> et non unique. Le pouvoir n’est pas seulement déterminé par le Dieu monothéiste cher aux européens, mais encore par les ancêtres ou les morts, les magiciens, les féticheurs, les personnes âgées et les sorciers. L’Etat magico-religieux en particulier et la réinterprétation de l’Etat en général, engendre un certain nombre de conséquences inhérentes au pouvoir en Afrique :
1.                                                     il développe les relations de clientélisation de la vie politique, entre les chefs d’Etat ou ses collaborateurs et les personnes considérées comme détenant un pouvoir occulte. Comme l’a bien vu C.Coulon : << on constate l’existence des relations clientélistes entre certains marabouts (qui sont de véritables  patrons locaux) et les autorités nationales sénégalaises >> ; le clientélisme étant une relation << dyadique >> inégalitaire entre le soutien politique et les avantages matériels notamment.
2.                                                     le politique étatique est détourné de sa raison d’être qui constitue selon J. Chevallier, << la matrice >> de tout pouvoir : l’idéologie de l’intérêt général, au profit de la domination, de la parenté, des clients et des représentations spirituelles, lesquelles relèguent le droit et la rationalité au second plan, pour inspirer les politiques publiques positives et négatives. Selon P.P.Rey (Cfr notre thèse de doctorat, op.cit ), << le politique ancien, et notamment le politique non étatique, investit l’Etat et le fait échapper à ce qui est sa logique apparente >> il s’agit du phénomène du blocage de l’institutionnalisation du pouvoir notamment.

En guise de conclusion, on peut réaffirmer que malgré les apparences, les systèmes politiques africains en général, et l’Etat en particulier est différents de l’Etat européen d’où il est officiellement  venu ; même si dans la pratique, on a vu que les choses ne sont pas si simples. Il est en pleine dynamique ou en perpétuelle réinterprétation. Reposant sur la diversité d’influences, cette situation a abouti à l’instauration de la confusion au sein de la culture politique. Ladite   confusion éloigne les institutions, les pratiques et les comportements  politiques du régime démocratique classique notamment.

Seule donc une clarification des traits culturels politiques et une option délibérée ou volontariste en faveur des formes d’Etat modernes ou anciennes démocratiques  ou décentralisées pourraient engendrer un Etat et des pratiques humanistes où le pouvoir cessera d’être étranger à son créateur, le tout sur fond d’institutionnalisation et d’éducation politique. Tout cela doit s’accompagner de la minimisation de l’influence étrangère sur le pays.






BIBLIOGRAPHIE

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21. P.R. Lohata Tamabwe.O, Idéologie démocratique au Zaïre. Contribution à l’étude des systèmes politiques africains. Thèse de Doctorat en Sciences Politiques en 2 Tomes, Université de Picardie, 1990.
22. J.F. Médard, La spécificité des pouvoirs africains, In Pouvoirs, n°25 1983.
23. N.Mulumbati (sous la dir.), Systèmes politiques africains, Lubumbashi, Ed. Africa, 1984.
24. C.Rivière, Une socio-anthropologie de la modernité. In. J.M. Berthelot (sous la dir), La sociologie française contemporaine, Paris, PUF, 2000.
25. M.Weber, Economie et société, Paris, Plon, 1971.
            26. Constitution de la transition, in Journal Officiel de la République Démocratique  
              du Congo, 44ème année n°spécial, 5 avril 2003 ( texte enrichi  de l’Accord Global et 
              Inclusif sur la transition en RDC).


[1] M.Weber, Economie et société, Paris, éd. Plon, 1971. voire également chez le même auteur, le savant et le politique, Paris, Union générale de Librairie, 1959.
[2] J.P.Ginet, la genèse de l’Etat moderne, in Acte de Recherche en Sciences Sociales, mars 1997, Paris, p.2
[3] Ibidem
[4] J.F.Bayart, L’Etat en Afrique, Paris, Fayard, 1989
[5] Sur le premier sens, voir M. Hauriou  cité notamment par A. Hauriou et J.Gicquel op.cit, et  sur le deuxième, on peut référer à J. Chevallier, Institution, op.cit
[6] D.G. Lavroff, cité par les auteurs du livre intitulé << les institutions administratives des Etats d’Afrique francophone >> publié sous la direction de G.Conac, op.cit
[7] Lijphart, Cité par B.Bactie et P.Birnbaum, Sociologie de l’Etat, Paris, Crosset, 1979
[8] LOHATA TAMBWE, La problématique de la corruption en RDC, l’approche politologique, Kinshasa, SSCEPLC, octobre, 2002
[9] D.G. Lavroff, in Encyclopédie Universalis, Paris, 1978
[10] D.Bourmaud, Elections et autoritarisme. La crise de la régulation politique au Kenya, In Revue Française de science politique, juin 1985
[11] LOHATA T., La problématique de la corruption, op.cit
[12] A.S. Mesheriakoff, L’ordre néo-patrimonial, In Revue Française de l’Administration Publique, n°42, avril-juin, 1987.
13 J.F Bayart, L’illusion  identitaire, collection, << l’espace du politique >>, Paris, Fayard, 1996, 306 p.
14 A. Hauriou et J.Gicquel, Droit constitutionnel et institutions politiques, op.cit

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